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CAN 2024 : au Maroc, « tout le monde veut un Bounou ou un Ziyech dans la famille »

« Vous avez déjà vu des enfants se battre pour devenir gardien de but ? » Gabriel Hicham Guedira en est encore tout étonné. A l’académie Juventus, l’école de football qu’il a montée à Casablanca en 2018, les jeunes ne veulent plus seulement marquer des buts. « Ils ont envie de ressembler à Yassine Bounou [le portier des Lions de l’Atlas, qui évolue au club saoudien d’Al-Hilal] », s’amuse l’ancien préparateur physique du Grenoble Foot 38, qui y voit un effet de la Coupe du monde au Qatar.
Depuis que la sélection marocaine a atteint pour la première fois les demi-finales de la compétition en décembre 2022, ce passionné du ballon rond reconverti dans les affaires. observe un attrait nouveau pour des postes, essentiellement défensifs et jusqu’alors peu prisés. Et plus largement, une footballisation du sport, avec « des jeunes qui ont préféré lâcher le basket ou le volley-ball pour joueur avec leurs pieds ».
L’enthousiasme suscité par le Mountakhab, l’équipe nationale de football, est l’évolution la plus notable depuis la progression fulgurante du Maroc au classement de la FIFA. La sélection, qui a atteint la onzième place mondiale après sa performance au Qatar – elle n’était pas dans les cinquante premiers quatre ans avant –, fait désormais rêver. Exit Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, les deux stars du football européen, qui ont longtemps monopolisé l’amour des supporters marocains. « Aujourd’hui, tout le monde veut un Bounou ou un Ziyech [l’attaquant Hakim Ziyech, qui évolue à Galatasaray] dans la famille », lance le chercheur en politique du sport Moncef Lyazghi.
Pour la myriade de centres de formations, académies et écoles privées de football que comptent les grandes villes, la ferveur autour des joueurs a été synonyme de hausse de la fréquentation dès la rentrée 2023. Sur un an, « nous avons eu 60 % d’inscrits en plus dans notre complexe de Casablanca et 300 supplémentaires dans celui de Bouskoura », relève Adil Halla, le vice-président du Raja, l’un des deux clubs de la capitale économique marocaine. La queue à l’ouverture des inscriptions et les parents dépités car il n’y a plus de places au bout de quelques jours ? « Je n’avais jamais vu ça », confie Moncef Lyazghi, dont les deux garçons sont inscrits depuis des années à l’école du FUS de Rabat.
Pourtant, l’ardeur soulevée par les résultats du Mountakhab n’a pas toujours été, loin de là. « On a connu une longue traversée du désert, avoue le journaliste Amine Rahmouni, consultant sportif pour la radio publique marocaine 2M. Entre la finale perdue lors de la Coupe d’Afrique des nations en 2004 et la nomination d’Hervé Renard comme entraîneur en 2016, je n’ai quasiment que des mauvais souvenirs. » Auréolé de deux titres continentaux avec la Zambie et la Côte d’Ivoire, l’actuel sélectionneur de l’équipe de France féminine de football n’a remporté aucun trophée avec le Maroc. Mais il a permis à la sélection de renouer avec les compétitions internationales, après des années de vaches maigres.
« Renard nous a réconciliés avec notre équipe et Regragui [Walid Regragui, le sélectionneur des Lions de l’Atlas] nous l’a fait aimer », pointe Amine Rahmouni, pour qui la véritable révolution footballistique n’est pas à chercher dans les performances des Lions ou dans le nombre des pratiquants, mais davantage dans les nouveaux profils des supporters. « Les rencontres ne se voient plus seulement entre copains, mais en famille. L’équipe nationale a même réussi l’exploit de mobiliser les femmes âgées, qui s’intéressaient beaucoup moins au ballon rond. »
Car le football au Maroc n’est plus seulement une affaire d’hommes. Comme les garçons, les filles sont de plus en plus nombreuses sur les terrains. A Rabat, où l’académie Juventus est également présente, « leur nombre a doublé en 2023 », indique Gabriel Hicham Guedira. Et cette hausse n’est pas à mettre à l’actif des seuls Lions et de leurs exploits. En se hissant en 2022 en finale de la Coupe d’Afrique des nations, et en parvenant pour la première fois en huitièmes de finale lors de la dernière Coupe du monde, les Lionnes ont elles aussi contribué « à rapprocher les Marocaines du football », souligne Moad Oukacha.
Le président du Sporting Club de Casablanca, qui a terminé deuxième de la Ligue des champions féminine de la Coupe d’Afrique des nations en 2023, y voit la réussite du « plan Marshall », lancé en 2020 par la fédération marocaine pour développer le football féminin. Depuis, le budget de la ligue nationale féminine a été multiplié « par sept », selon lui, la première et la deuxième division ont été professionnalisées et tous les clubs ont commencé à investir massivement dans la formation des filles.
La démocratisation du football est-elle en route ? « Sans doute, mais les infrastructures ne suivent pas, nuance Moncef Lyazghi. Tous sports confondus, on dénombre une unité sportive pour 30 000 habitants. Pour le football, c’est une pour 74 000 habitants. » Outre la disparité entre les régions, il relève l’insuffisance du nombre des licenciés. « A peine 80 000, soit moins de 0,2 % de la population », insiste le chercheur, qui plaide pour la mise en place d’une stratégie gouvernementale afin de créer des unités sportives et des académies de formation « partout au Maroc, pas seulement à Rabat ou Casablanca ».
Le développement du grassroots football – ou football de base –, qui promeut la participation en masse et favorise l’intégration, semble cependant en marche. « On assiste à un développement spectaculaire des associations et des petits clubs, avec la multiplication des terrains de proximité et une pratique qui se structure à travers un réel encadrement et l’organisation de tournois », remarque Fadel Abdellaoui, un ancien membre du comité directeur du Raja, qui rappelle combien le football a toujours été important « d’un point de vue social ».
Partie pour durer, l’euphorie post-Qatar ne se limite plus au gazon. Moins médiatisée, mais tout aussi impressionnante, la réussite de la sélection marocaine en futsal a consacré une discipline dans laquelle le royaume fait figure de prodige : vainqueur de la Coupe d’Afrique des nations en 2020, quart-de-finaliste de la Coupe du monde en 2021, champion du monde arabe en 2022 et 2023… Amine Rahmouni est catégorique : « Le Maroc vit son âge d’or du football global. »
Alexandre Aublanc
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